Le FARG, une réparation made in Rwanda

Depuis 25 au Rwanda, de très nombres de réparation même les plus belles maisons

Il y a 25 ans, entre avril et juillet 1994, les Tutsis du Rwanda étaient victimes d’un génocide. Justice Info se joint aux commémorations à travers la publication, sur plusieurs semaines, de nombreux articles, entretiens, tribunes, cartes et reportages. Le premier d’entre eux raconte l’histoire du Fonds d’assistance aux rescapés du génocide (FARG), créé par le gouvernement rwandais et toujours en activité. Comment un pays sans ressources a voulu démontrer qu’il était possible d’offrir des réparations.

Au lendemain du génocide perpétré contre les Tutsis du Rwanda, entre avril et juillet 1994, l’Etat rwandais est exsangue. Au milieu de leurs habitations rasées, des villes éventrées, des collines lardées de charniers et de fosses communes, de terres dépeuplées et d’infrastructures ravagées, les survivants, et parmi eux notamment des enfants et des nourrissons esseulés, des malades affamés et sans abri, se comptent par milliers. L’Etat a été vidé de ses ressources, pillé jusqu’au dernier centime par ses représentants qui ont fui vers le Zaïre voisin (le Congo d’aujourd’hui). C’est à ceux qui ont pris le pouvoir et arrêté le grand massacre qu’échoit l’impossible équation : comment aider ces rescapés à remonter de l’abîme et à combler leurs besoins élémentaires pour une réhabilitation socio-économique ?

Sous l’empire de la Loi organique du 30 août 1996 sur la répression du génocide, un premier pas est franchi : les premiers procès contre les auteurs du génocide consacrent la responsabilité de l’Etat rwandais. L’Etat est condamné par les tribunaux ordinaires à payer des sommes colossales pour le génocide commis en son nom. Les autorités reconnaissent le principe de la continuité de l’Etat. Le crime ayant été commis en son nom, elles acceptent de verser chaque année, non des dommages et intérêts, mais un pourcentage de son budget annuel au Fonds d’assistance aux rescapés du génocide (FARG), pour les plus démunis. Selon la loi qui crée le FARG, celui-ci est essentiellement alimenté par le versement de 6% du budget national annuel, ou plus exactement des recettes internes. Avant l’amendement de cette loi, en 2008, chaque salarié du secteur public ou privé doit donner une contribution équivalant à 1% de son salaire brut. Mais le fonds peut aussi recevoir des contributions des partenaires locaux et internationaux, organisations et associations locales ou internationales, personnes physiques ou morales.

Imararungu, la vache qui brise la solitude

Dancilla Mukankusi a survécu au massacre de Kabarondo, une église de l’Est du Rwanda dans laquelle ont péri, en l’espace d’une demi-journée, le 13 avril 1994, plus de 2000 réfugiés tutsis, dont toute sa famille. Aujourd’hui, à 63 ans, elle souffre de tous les maux dont une hépatite, une insuffisance rénale, des troubles cardio-vasculaires et autres maladies chroniques. Même pour ses voisins, elle est celle qui « passe plus de temps sur un lit d’hôpital et vit de médicaments ». Dancilla le reconnaît clairement : « Je crois que sans l’aide du FARG, j’aurais déjà succombé. » En plus de ces soins médicaux, elle reçoit une petite somme d’argent en guise d’aide directe qui l’aide à survivre tant bien que mal.

Dans le district voisin de Rwamagana, Odette, une autre veuve du génocide, âgée de 67 ans, vit presque dans les mêmes conditions que Dancilla. Lorsqu’on l’interroge sur la façon dont elle vit sa solitude, elle répond qu’elle a une compagne. Qui est-ce ? lui demande-t-on. Avec un petit rire désinvolte, elle se dirige vers une petite étable et chuchote à l’oreille d’une grande frisonne en train de ruminer son herbe, le nom d’ « Imararungu » – celle qui brise la solitude, en langue kinyarwanda. La dame explique sa journée : Imararungu lui prend presque tout son temps pour tous ses soins, du matin au soir, comme « un enfant chéri, un bon compagnon que AVEGA m’a donné ». AVEGA, c’est l’Association des veuves du génocide, partenaire du FARG dans la réhabilitation des victimes du génocide.

Pour ses voisins, Odette, 67 ans, est « la vieille avec la vache du FARG ». Mais pour Odette, c’est une compagne qu’elle appelle Imararungu – celle qui brise la solitude, en langue kinyarwanda – et qui « tient la place de toutes les vaches pillées et abattues » lors du génocide

Pour les voisins, son vrai nom importe peu, elle est « la vieille avec la vache du FARG » ! Mais pour Odette, « Imararungu tient la place de toutes les vaches pillées et abattues » lors du génocide. Et elle est un grand réconfort. La vache, traditionnellement perçue comme un signe de privilège du Tutsi éleveur, fut ciblée pendant le génocide, au chant de ralliement : « Mangeons les vaches des Tutsis ! » Odette fait partie des 7510 veuves qui ont bénéficié d’une vache depuis la mise en place du Fonds.

Un bilan plutôt satisfaisant

Le pari du FARG en vue d’assurer la réhabilitation socio-économique des rescapés du génocide, sur fond de programmes déjà existants, a ainsi fonctionné selon cinq axes d’intervention : fourniture de soins médicaux aux malades, aide directe aux plus vulnérables, facilitation de l’éducation pour des milliers d’enfants, dont plusieurs orphelins chefs de famille, logement de tous les sans-abri et aide à la création d’activités génératrices de revenus. Selon un bilan dressé en juin 2018, c’est-à-dire après vingt ans d’exercice, le fonds a payé des soins médicaux à plus de 2 millions d’occasions, y compris pour 428 patients traités à l’étranger, pour un coût total de près de 19,5 milliards de francs rwandais (19,3 millions d’euros). Près de 110 000 enfants et orphelins ont pu bénéficier du programme éducation, à tous les niveaux et jusqu’à l’université. « Cela fait un grand plaisir de ménager de telles vies mises en danger et fragilisées par le génocide. Nous sommes satisfaits des résultats », se réjouit Théophile Ruberangeyo, directeur générale du FARG, qui estime que certains des bénéficiaires du Fonds ont franchi toutes les étapes du programme, à savoir « la réhabilitation, la réintégration et la graduation ». Par exemple, « des orphelins d’hier, nous avons fait des hommes et femmes responsables devant leurs familles et leur patrie », ajoute-t-il.

Le Fonds se prévaut également de la construction de quelques 45 000 logements, dont certains dans des villages de « réconciliation » où cohabitent victimes et anciens bourreaux, ainsi que 54 000 bénéficiaires d’activités génératrices de revenu. Avec l’aide du programme « One dollar campaign », projet lancé par la diaspora rwandaise, un grand immeuble abrite à Kigali quelques 192 élèves et étudiants orphelins du génocide, naguère sans-abri et contraints de passer les vacances dans leurs écoles.

Après vingt ans d’exercice, les quelque 272 milliards de francs rwandais (270 millions d’euros) absorbés par le Fonds sur tous ses axes d’intervention ne sont qu’« une goutte d’eau dans un océan de problèmes », estime pourtant Théophile Ruberangeyo. Car ce montant, regrette-t-il, reste dérisoire au regard des besoins et du nombre de victimes.

De nombreuses critiques

Le Fonds a aussi été confronté à de nombreuses critiques : malversations, maisons construites de façon tronquée pour ne durer que 5 à 10 ans, corruption dans la sélection des bénéficiaires allant jusqu’à en faire profiter d’anciens miliciens ! En 2010, suite à un contrôle minutieux, plus de 17 000 cas de tricherie avaient été décelés et 47 entrepreneurs malhonnêtes identifiés et traînés en justice.

Mais les défis ne se résument pas à la mise en œuvre du Fonds. Déjà, en 2009, le collectif des associations de rescapés du génocide Ibuka [souviens-toi, en langue rwandaise], dénonçait le fait que, en lieu et place d’une indemnisation des préjudiciés, l’Etat a opté pour la création du FARG que « même les victimes sont condamnées à alimenter pour payer leur propre réparation », comme le cingle Denis Bikesha, professeur de droit à l’Université du Rwanda. Pour lui, « la réparation des victimes doit être comprise comme un droit et non une faveur ».

Au cours d’une réunion de rescapés du génocide, en décembre 2018 à Rusizi, au sud-ouest du Rwanda, les participants ne sont pas plus cléments. Génocide ou pas, disent-ils en substance, l’Etat n’a-t-il pas l’obligation de pourvoir aux plus vulnérables et aux déshérités ?, s’interroge Laurent Ndagijimana, président local d’Ibuka. « Nous voulons nos droits, pas des privilèges », dit-il sèchement. Même si le FARG accomplit de bonnes choses pour « nos veuves, orphelins et tous les vulnérables », dit-il, ses services sont perçus, d’un côté, comme « une faveur à demander et, de l’autre, comme une faveur à octroyer ». Avec l’organisation des procès – des centaines de milliers de Rwandais ont été jugés pour leur participation au génocide, notamment à travers des tribunaux communautaires appelés gacaca –, on a eu « la vérité » et « les coupables punis », reconnaît Ndayambaje. Mais pour une justice pleine, conclut-il, il fallait « juste un petit pas vers la réparation, même symbolique ».

Comme le conclut un ancien parlementaire retraité, pour un Etat, « il est plus facile d’organiser que d’arrêter un génocide et/ou d’en réparer les séquelles ».

 

Sangiza abandi iyi nkuru

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