Génocide contre les Tutsi: Le procès en appel de Philippe Manier, la justice face aux massacres d’ISAR Songa, Nyamure et Karama

Depuis le 4 novembre 2024, la Cour d’assises de Paris juge l’appel de Hategekimana Philippe Manier, ex-adjudant-chef de la gendarmerie rwandaise, accusé de crimes de génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda pour son rôle présumé dans les massacres de 1994.

Ce procès a révélé, lors des audiences du 3 et du 4 décembre 2024, des détails accablants sur les atrocités commises à ISAR Songa, Nyamure et Karama au Sud du Rwanda, où des milliers de Tutsis ont été exterminés dans des conditions effroyables. Bien que Manier, alias Biguma, aujourd’hui citoyen français, nie toute implication directe, les témoignages recueillis durant ces audiences mettent en lumière les aspects complexes de son rôle potentiel dans cette tragédie.

ISAR Songa : Une extermination systématique sous haute surveillance

Les massacres à ISAR Songa, qui ont eu lieu entre le 22 et le 28 avril 1994, ont fait l’objet de révélations choquantes lors des audiences des 3 et 4 décembre. Environ 3480 réfugiés tutsis s’étaient réfugiés dans cette localité, fuyant la violence des milices hutu. Mais ce qui semblait être un refuge temporaire s’est rapidement transformé en un piège mortel. Les témoignages ont confirmé l’implication d’une coalition meurtrière composée de la gendarmerie, des Interahamwe, et de la population hutu locale, qui a mené une série d’attaques systématiques. Selon les témoins, les assaillants ont utilisé des obus, des fusils, et des armes blanches, tels que des machettes et des gourdins, pour exécuter les réfugiés dans des conditions effroyables.

Le 27 avril, un hélicoptère aurait survolé la zone, probablement pour repérer les positions des réfugiés avant l’attaque décisive du 28 avril. Cette attaque a été marquée par l’utilisation d’un corridor piégé, conçu pour abattre ceux qui tentaient de fuir. Les témoins ont fait état de l’implication indirecte de Hategekimana Philippe Manier à travers son rôle dans la gendarmerie de Nyanza, bien que l’accusé ait nié toute responsabilité directe dans ces exécutions. Il a soutenu que certaines zones d’ISAR Songa échappaient à son autorité, mais les témoignages suggèrent que la gendarmerie de Nyanza, sous ses ordres, a facilité la répression.

Nyamure : Des attaques violentes, mais l’implication de Manier demeure floue

A Nyamure, les attaques ont débuté le 22 avril 1994 et se sont intensifiées avec l’arrivée des gendarmes de Nyanza le 24 avril. Selon les témoignages entendus lors des audiences des 3 et 4 décembre, les Interahamwe, soutenus par des soldats et gendarmes, ont mené des attaques de grande envergure, tuant des milliers de réfugiés à l’aide de kalachnikovs, de RPG et de machettes. Les civils, eux, ont participé aux massacres en exécutant les survivants à l’aide de gourdins et de machettes.
Bien que les témoignages aient mentionné Philippe Manier comme participant potentiel à la planification des attaques, son implication directe dans les massacres à Nyamure reste incertaine aux yeux de sa défense. Selon elle, aucune preuve formelle n’a été apportée pour établir sa présence sur le terrain ou son rôle actif dans les massacres.

Toutefois, les témoignages de survivants ont fait état de la coordination entre les gendarmes et les milices, une organisation qui pourrait avoir impliqué Manier à un niveau indirect, en raison de son rôle dans la gendarmerie de Nyanza.

Karama : Un dossier écarté pour des raisons procédurales

Un des moments clés de ces audiences a été la décision de la Cour concernant les massacres de Karama. Le 3 décembre 2024, le président de la Cour a rejeté la demande d’inclure ces événements dans le cadre du procès en cours. Maître Philippart, représentant les parties civiles, avait plaidé pour que les faits de Karama soient pris en compte.

Cependant, le président de la Cour a rappelé que les massacres à Karama, bien qu’ayant fait partie du même génocide, n’avaient pas été suffisamment intégrés dans les débats. Aucun témoignage direct n’avait été présenté concernant Philippe Manier pour ces événements, et aucune remise en situation n’avait été faite. La Cour a ainsi tranché que les faits de Karama devaient être exclus du procès actuel, afin de respecter les principes de procédure judiciaire.
Cette décision a également répondu à la demande de la défense qui avait sollicité la fin des témoignages sur Karama, estimant que ces éléments étaient hors du champ des accusations. En rejetant ces demandes, la Cour a voulu éviter de compromettre la rigueur procédurale du procès et de prévenir tout recours ultérieur en cassation. La décision visait à éviter toute ambiguïté et à garantir un procès équitable, conforme aux principes de justice.

« Cette décision n’est pas surprenante, car même au premier degré, c’est ce que la cour avait déjà conclu », dit Me Gisagara Richard, avocat des demandeurs en indemnisation devant la cour d’assises de Paris.
Un procès complexe, mais essentiel pour la justice
Ce procès en appel, qui se poursuit, met en lumière les multiples zones d’ombre qui entourent la responsabilité de présumés acteurs de génocide, comme Philippe Manier. Bien que son rôle direct dans les massacres d’ISAR Songa et Nyamure ne soit pas encore établi, les témoignages ont révélé des détails cruciaux sur la coordination et l’organisation des attaques, dans lesquelles la gendarmerie de Nyanza aurait joué un rôle clé. Les révélations des 3 et 4 décembre ont aussi souligné la difficulté de juger des événements qui se sont produits dans plusieurs zones géographiques, sans preuve irréfutable de la présence de chaque accusé.

Le procès constitue une avancée importante dans la quête de justice pour les victimes du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994. Bien que l’implication de Manier dans ces massacres ne soit pas encore confirmée par la cour, la poursuite de ce procès est essentielle pour garantir la vérité et la responsabilité des responsables de ces atrocités. Les survivants et leurs familles attendent toujours des réponses sur la manière dont les forces de répression rwandaises ont orchestré la machine de mort en 1994.

Un précédent pour les poursuites liées au génocide

Ce procès, tout en soulevant des questions complexes sur l’implication de certains responsables, pourrait devenir un modèle pour les poursuites futures concernant le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994. Il rappelle aussi que la justice internationale ne doit jamais faire abstraction des règles procédurales, tout en cherchant à éclairer la vérité historique. Le verdict de cette affaire pourrait marquer un tournant dans la lutte contre l’impunité des crimes de génocide, et inspirer de futures actions judiciaires pour juger les responsables de ces atrocités, qu’ils aient joué un rôle direct ou indirect.
L’organisation qui défend les intérêts des survivants du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda, IBUKA, dans le district de Nyanza souligne que le fait que Biguma ait fait appel ne l’exemptera pas des accusations portées contre lui et réaffirme sa confiance en la justice française.

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